Shirin Neshat

Le langage universel des symboles

Raconter la difficulté d’être femme dans l’islam sans céder au stéréotypes ni à la polémique. Shirin Neshat a choisi de poser des questions. Et nous ouvre les yeux.

Bref retour en arrière pour commencer. Nous sommes au milieu des années soixante-dix. Il est de bon ton dans les milieux aisés de la société iranienne de poursuivre des études à l’étranger. Etudes d’art en Californie pour ce qui est de Shirin. Quelques semestres et on verra. Au final, presque seize ans sans fouler le sol natal. Seize ans non sans tiraillements identitaires entre sa culture et celle de sa terre d’accueil. Elle dit aujourd’hui «se sentir américaine», ses racines vitales n’en sont cependant pas moins là-bas, dans ce lointain pays où des mollahs de tous poils sévissent au nom d’un islamisme moyenâgeux. Là-bas où le mot liberté a été banni du vocabulaire, les classiques mis à l’index, les salles de spectacle reconverties en maisons de prière. Là-bas où le fondamentalisme a entraîné la société dans l’obscurantisme. Shirin le sait, mais elle veut «voir» pour comprendre, pour nous faire comprendre.

Condamnées à l’invisibilité

Ce qu’elle voit en 1990 dépasse tout ce qu’elle avait imaginé. Elle ne retrouve rien, ne reconnaît rien. Le choc le plus violent: l’absence omniprésente des femmes condamnées à l’invisibilité sous des amas de chiffon qu’on appelle tchador. Qu’en est-il de leur identité sous le voile grillagé. De leur dimension humaine, leur rôle social, leur croyance, leurs aspirations? Shirin ne crie pas son indignation, ne se découvre pas une fibre soudain militante, ne prend pas position – ou plutôt décide que sa position sera celle de ne pas en avoir. «Je me suis située en posant uniquement des questions».

Women of Allah

 

Il y a évidemment façon et façon de poser des questions. Là où d’autres ont pris la plume, Shirin se sert de l’image. D’abord de la photo. «Women of Allah», la série en noir et blanc qu’elle réalise entre 1993 et 1997 la propulse rapidement sur le devant de la scène artistique internationale. Déconcertants et magnifiques portraits de femmes aux mains, regards, visages recouverts de calligraphies. Des poèmes en farsi en guise de fard. Innocence ou révolte?

 

 

Changeant de registre, sans toutefois renoncer complètement aux tirages papier, Shirin se tourne vers la vidéo. «Turbulent» (1998) nous invite à partager une sorte de suspense concurrentiel entre deux chanteurs, un homme et une femme qui se font face sur deux écrans opposés. L’homme se produit devant un auditoire enthousiaste et exclusivement masculin. La femme, dans un théâtre vide. On regarde à gauche, à droite. Peu à peu l’espace vocal se rétrécit, les silhouettes se rapprochent, se rencontrent, se superposent jusqu’à ce que, vraisemblablement interloqué, l’homme se taise et que le visage de la femme se découvre. Le dialogue des civilisations peut-il reprendre?

Turbulent

Tout aussi remarquable, «Rapture» (1999), jusqu’à présent son œuvre la plus ambitieuse. Là aussi, deux projections parallèles, le récit relevant cette fois davantage de la chorégraphie que de la scénographie. D’un coté, une communauté de femmes, toutes drapées de noir encombrant, évoluant comme un corps de ballet dans des espaces naturels apparemment maîtrisés. De l’autre, des hommes uniformisés, chemise blanche, pantalon noir, unanimes dans leurs gestes, mais confinés dans l’enceinte d’une forteresse. L’œil de la caméra frôle une échelle. Les femmes l’ont-elle empruntée? Du haut de leur tour, les hommes ont les yeux rivés sur la plage, sur des silhouettes qui se dirigent résolument vers le large. Ils leur font des signes. Où vont-elles? Vers la mort, la liberté? La références au poète et philosophe al-Rùmì est évidente: «Ton vrai pays est l’endroit où veux aller, pas celui où tu es maintenant».

Rapture

Jacqueline pour les Z’allucinés

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