Marlène Dietrich

«Votre nom, d’abord le bruit d’une caresse, devient le claquement d’un fouet». Jean Cocteau

Marlene Dietrich, éternellement resplendissante. Marlene, incarnation de la séduction. Marlene, au sens inné du panache. Cette même Marlene, qui se demande « …peut-on devenir encore plus laide…

 

« Schöner Gigolo, armer Gigolo »

Douloureuse question qu’elle se pose en scrutant les scènes de «Gigolo», un film très moyen réalisé par David Hemmings en 1978, vite retiré de la distribution et introuvable aujourd’hui. Dernière apparition publique. Depuis, plus aucune photo, plus aucune prise de vue. Plus rien. Seulement la légende, entretenue par une autobiographie fantaisiste et un documentaire, signé Maximilian Schell, où on ne la voit pas. Sa course contre la montre, elle l’avait commencée dans les années cinquante, niant farouchement avoir débuté dans des films muets. «Le muet, c’était Garbo, pas moi, je suis trop jeune». Jamais Marlene n’a accepté de vieillir et jamais elle ne permettra que les années ternissent l’image que l’on avait de sa beauté, de sa sensualité, de son pouvoir de séduction.

 

Marlene devient LA Dietrich

L’Ange Bleu

Un pouvoir de séduction qui affole tous ceux qui l’approchent, et ce bien avant que Josef von Sternberg n’y succombe et ne l’engage pour un film dont personne ne prévoyait qu’elle allait en devenir la révélation. Le soir même de la première mondiale de «L’Ange Bleu», le 1er avril 1930, Marlene quitte Berlin pour Hollywood. Von Sternberg l’y attend depuis un mois et demi. En l’espace de cinq ans et sept films, ce mentor aussi génial que tyrannique métamorphose la Lola un peu ronde de «L’Ange bleu» en femme fatale, en star glamoureuse et sophistiquée du grand écran. Troublante, évanescente, inaccessible, obscur objet de tous les désirs, c’est l’image que von Sternberg lui a façonné sur mesure et qui désormais sera la sienne. C’est cette icône, cette «Marlene Dietrich Incorporated» qu’elle imposera en bloc aux autres réalisateurs. Aussi bien à Alfred Hitchcock, René Clair qu’à Ernst Lubitsch ou même Fritz Lang.

 

Quant à son prénom, certains ont prétendu que von Sternberg le lui aurait suggéré, ou bien encore Hollywood. Faux! Marie Magdalene, que ses proches appellent Lena, a tout juste onze ans lorsqu’elle prend seule la décision de faire fusionner ses deux prénoms. On a retrouvé un cahier d’école rempli d’ébauches de sa nouvelle signature. Désir de rompre le cordon ombilical? Envie de se démarquer? Les origines huguenotes de son père, Louis Dietrich, l’auraient-elles incité à franciser son prénom? En tous cas, la manifestation précoce de cette volonté d’indépendance allait être un de ses traits de caractère.

 

Marlene et l’Allemagne nazie

Les rumeurs qui parviennent d’outre-Atlantique sont préoccupantes. Marlene semble d’abord éluder la question. «La politique ne m’intéresse pas, je n’en parle pas», répond-elle à un journaliste américain en 1934. Son dernier séjour à Berlin remonte certes à avril 1931, mais elle rencontre de plus en plus d’émigrés allemands qui arrivent aux Etats-Unis, fuyant le 3e Reich. De tous les voyages qu’elle entreprend en Europe entre 1933 et 1939, aucun ne la conduit en Allemagne. Ce qui exaspère Berlin qui aimerait bien récupérer la star et profiter de son aura pour asseoir sa notoriété. Première tentative en 1933. La Ufa lui fait miroiter un rôle en or dans un film tiré d’un ouvrage de Carl Zuckmayer. Le projet ne verra jamais le jour. Seconde tentative en 1936. On n’a pas trace de la réponse de Marlene, certainement négative puisque «Tango Notturno» sortira en 1939, avec Pola Negri dans le rôle principal.

En tournée pour les troupes au Royaume-Uni

La pression monte d’un cran. En 1938, Goebbels intervient personnellement en dépêchant un émissaire à Paris où Marlene veut faire proroger son passeport. Prorogation… mais à condition de revenir immédiatement en Allemagne. «D’accord, mais, condition pour condition», aurait-elle rétorqué tout sourire, «la mienne est de pouvoir y travailler avec von Sternberg». L’ambassadeur pris au piège de son chantage. Von Sternberg est juif… L’’émissaire du Reich de retourner au pays l’oreille basse et le diplomate de donner un coup de tampon. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que Marlene n’a nullement l’intention de retourner en Allemagne. Le 9 juin 1939, elle devient citoyenne américaine. Le «Sturmer», le plus nauséabond des quotidiens à la botte d’Hitler, sera le seul à vomir sa haine. Les autres journaux choisiront de passer la nouvelle sous silence.

 

L’homme de sa vie

Marlene et ses aventures amoureuses? Un feuilleton àrebondissements et un chapelet de noms prestigieux que les médias se plaisaient à égrener, de James Stewart à John Wayne en passant par Maurice Chevalier ou bien encore Erich Maria Remarque. Mais peu importe la véracité ou longueur de la liste, car seuls deux hommes ont réellement compté dans sa vie. D’abord son mari, le cinéaste Rudolf (Rudi) Steiner qu’elle épouse en 1923. Pendant un demi-siècle, ils se voueront une singulière fidélité, chacun laissant l’autre libre de mener sa propre vie, chacun aidant l’autre dans les moments difficiles. Mais le véritable grand amour de sa vie, celui pour lequel elle se remettra en question, c’est Jean Gabin.

Installé à Hollywood au début de la guerre, Jean Gabin retrouve la communauté française réfugiée en Californie: Jean Renoir, Julien Duvivier, Michèle Morgan… C’est alors qu’il rencontre Marlene. Coup de foudre réciproque. Ils emménagent dans une villa que Greta Garbo leur loue. Gabin est pressenti pour un rôle dans «Moon Tide», c’est Marlene qui se charge de le lui faire répéter son anglais. Au désespoir du réalisateur, Archie Mayo, qui s’arrache les cheveux en retrouvant dans le parlé de Gabin l’accent typique de Marlene.

Martin Roumagnac

Janvier 1944, Marlene incite Gabin à s’engager dans les Forces Françaises Libres. En avril, elle le rejoint à Alger. De retour à Los Angeles après une inoubliable tournée en Afrique du Nord et en Europe, elle liquide son appartement, vend tous ses biens, bijoux, meubles, tapis. Les ponts sont rompus, c’est en France qu’elle veut vivre, mais les Français se sont pas encore prêt à lui ouvrir les bras. Solitude. Malentendus. Jalousies. Premières fissures dans le couple Gabin-Dietrich. Il souhaite avoir des enfants, elle n’en veut pas. Ils n’accoucheront que d’un film médiocre, «Martin Roumagnac», aujourd’hui oublié. Ils se

A foreign affair

quittent le dernier jour du tournage. Un contrat avec la Paramount en poche, elle s’envole pour Hollywood où l’attendent notamment Billy Wilder (A Foreigh Affair) et Alfred Hitchcock (Stage Fright). Ce sera le second de sa carrière qu’elle clôturera en 1975 par une dernière tournée avant de se retirer dans son appartement parisien de la rue Montaigne.

 Go Home

Adulée, portée en triomphe, Marlène a aussi été conspuée, une seule fois, et ce à Berlin. Devant le Palais Titania où elle doit se produire le 3 mai 1960, des Berlinois manifestent. Juste une poignée, soutenue par la presse bien-pensante qui s’insurge contre la venue de la «momie du sexe». Sur les pancartes, on peut lire «Marlene go home». Marlene, qui a renié l’Allemagne nazie, qui a soutenu les troupes américaines, qui a été décorée de la Légion d’honneur et de la «Medal of Freedom», cette Marlene dérange une population occupée à oublier. Elle donne mauvaise conscience. Certes, elle sera reçue par Willy Brandt et ses admirateurs tenteront de relativiser l’affaire. Mais jamais elle ne pardonnera à sa ville natale de l’avoir si mal accueillie.

(Jacqueline Deloffre, Le Jeudi)

Laisser un commentaire