Agnès Varda, de A à Z (extraits)

Quelques (maigres) extraits de son abécédaire

A comme Agnès…

Comme Arlette, mon seul prénom légal. Il parait que je fus conçue en Arles, où sont les Alyscamps.

A comme Alyscamps qui n’est pas le campement merveilleux d’Alice, mais un cimetière antique planté de cyprès.

Question quand même :  Maman voulait-elle, en me nommant ainsi, se souvenir toujours d’une ville qu’elle aimait ou toujours des moments de cette conception dont mon père était le réalisateur ?

J’essaie d’imaginer le désastre d’une conception dans les bonnes villes de Pau, Roanne, Lille, Rennes et Fontainebleau qui m’eussent valu les doux prénoms de Paulette, Roannette, Lilette et Fontaineblette. La terminaison en « ette », je l’ai fuie dès mon adolescence (A comme Adolescence, l’âge de l’intuition extrême) en choisissant un des deux prénoms fréquents chez les ancêtres grecs de mon père, Agnès et Théodora.

B comme Bunuel, Luis

Je garde l’Age d’or en moi comme un film magique. si j’y pense, une brise de révolte, de provocation et de poésie m’aère l’esprit. Le couple filmé faisant l’amour dans la boue pendant un discours officiel, c’est pour moi le cinéma total.

CH comme Chine

Invitée en 1957 par Chou en-Laï comme photographe sinophile (je ne l’étais pas du tout, c’était un canular de Marker qui me valut cette invitation), j’ai découvert la Chine avec éblouissement. Ses couleurs, ses odeurs et ce qui me semblait exaltant : une justice de classe et de partage civique. La juxtaposition d’un rose tyrien et d’un rouge vermillon est à jamais liée à une révolution qui donnait leur chance à tyous, au son des opéras aigus et d’une valse de la jeunesse. La suite de l’histoire a été ce qu’elle a été.

Après deux mois de voyage, dont la descente en bateau-bus du Fleuve Bleu qui est jaune-beige, j’ai ramené, outre l’habitude de boire de l’eau chaude, des centaines de clichés, plutôt réussis, avec le projet d’un livre mais… Cartier-Bresson, voyageant en Chine deux mois avant moi, a empêché la parution de mes images. A choisir, les magazines et éditeurs prenaient les siennes – célébrité et grand talent obligent.

Il m’a fallu ranger mes photographies et mes diapositives couleur avec les trésors ramenés dans une malle expédiée de Shanghai en bateau :  éventails en santal, marionettes en parchemin, blouses à boutons de tissu, longue fourchette à gratter le dos, habits colorés pour nourissons dont brassière noire à pois blancs, chaussons en dragons et bonnet avec oreilles de chat à grelot, sans parler de poteries artisanales et de rubans brodés, bref tout ce qu’on trouve quarante ans après dans les magasins d’import installés entre un supermarché et une banque au milieu des centres commerciaux périphériques.

D comme Daguerréotypesse (1928 – 20..)

Maman, malgré soin éducation protestante et prude, disait d’un homme sans caractère ni courage : Il a des couilles de mite. D’un autre qu’elle estimait, elle disait : C’est un type ! Elle nommait typesses les femmes originales. Vu son vocabulaire et mon adresse, je ne puis être qu’une daguerréotypesse.

G comme Godard, Jean-Luc

Jean-Luc, je l’ai rencontré vers 1958 via Jacques. il avait deux prénoms d’apôtres et un nom incluant Dieu et l’Art (Ard avec un d pour qu’on puisse dire ardu). Il était très costaud, acrobate même. Tantôt silencieux, tantôt blagueur, normal quoi. Il cachait ses grands yeux tristes derrière des lunettes noir-charbon. Au fil des ans, les verres se sont éclaircis. Jolie évolution.

Anna Karina et lui et Jacques et moi passions des après-midis de dimanches à jouer à des jeux de cartes naïfs comme le « bourguignon » ou le « poker menteur ».

Un jour quand il est arrivé, les bras ballants avec une bouteille de vin dans chaque main, Maman était là. Je lui ai présenté Jean-Luc. Il a lâché la bouteille de sa main droite pour lui serrer la main. Venant d’un homme qui n’était ni maladroit, ni saoul et qui n’avait aucune raison d’être impressionné par ma mère, j’en ai déduit à l’instant même, dans le fracas et l’odeur de vinasse, qu’il était plus timide encore que prévu et soudain absent de la réalité.

C’est ce silence en lui, c’est cette absence qui sont les zones de son génie. C’est aussi pourquoi il est si difficile à fréquenter. On peut fréquenter ses films en tout cas qui lui ressemblent, très beaux, très profonds, très drôles et parfois silencieux comme si Godard nous refusait le dialogue.

H comme H aspiré

Je me souviens d’un accident d’avion relaté par la presse au cours duquel, par un hublot éclaté, un passager avait été aspiré par l’espace. Il s’appelait M. H… Dans les pages du Canard, ou entre nous, on parlait de lui comme de M. H aspiré.

I comme Imprévisible

Nous demandons à l’imprévisible de décevoir l’attendu. René Char

 

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