23 février – Ama – Bagdad Café

1) AMA

de Emilie Almeida, Liang Huang, Kemari Mansoureh

Durée 03’24 • Catégorie Animation • Genre Portrait • Pays France • Année 2015

Un film subtil et magnifique sur une période trouble.

Au Japon dans les années 50, une jeune américaine visite un village avec son mari militaire et un groupe d’amis. Prise d’admiration pour le paysage, elle se détache du groupe, elle fait la connaissance de Namiko, une jeune pêcheuse “ama”.

Le titre de ce film d’animation issu de la promotion 2015 de la très performante école des Gobelins renvoie à ces femmes plongeuses, emblématiques de l’archipel nippon, descendant nues et en apnée dans les fonds marins afin d’y pêcher algues, ormeaux ou huîtres perlières. En voie de raréfaction aujourd’hui, elles étaient encore 70 000 dans les années 1950, au moment où prend place l’action du film.
L’époque n’est pas anodine, moins de dix ans après la défaite du Japon impérial suite aux lâchers de bombes atomiques par les États-Unis. Et c’est justement une Américaine, épouse d’un soldat que l’on suppose appartenir à des forces d’occupation, qui est l’héroïne de l’épisode, une rencontre avec une jeune “ama” qui apparaît immédiatement en contraste absolu avec sa propre image. Son agilité et sa nudité tranchent avec la pudique
réserve de l’Occidentale, qui en est d’abord presque gênée, mais imagine se laisser elle-aussi aller au plaisir de se dévêtir et s’immerger dans les vagues. La superbe animation concoctée, mêlant à l’esthétique traditionnelle du dessin animé la modernité d’un rendu digital 2D, apporte une évanescente poésie à cette tranche de vie où un hasard prend valeur de révélation et d’éveil individuel.

2) BAGDAD CAFE

(Out of Rosenheim)

de Percy Adlon

Date de sortie :20 avril 1988

Durée : 1h 48min / Drame, Comédie

Date de reprise : 11 juillet 2018 – Version restaurée

Réalisé par : Percy Adlon

Avec : Marianne Sägebrecht, CCH Pounder, Jack Palance

Nationalités : allemande, américaine

Énorme succès en France (près de 2.5 millions de spectateurs), Bagdad Café a remporté le César du meilleur film étranger en 1989.

Jasmin Münchgstettner, une touriste allemande, de la ville de Munich, quitte son mari et échoue en plein désert avec, par erreur, pour tout bagage, la valise de son mari contenant la garde-robe très bavaroise de celui-ci et un jeu de magie. Elle atterrit au Bagdad Café, un motel poussiéreux, situé loin de Las Vegas au bord de la célèbre Route 66. Le Bagdad Café est géré par Brenda, une femme épuisée et excédée, qui élève ses enfants, dont un, musicien, est fan de Bach, une ado fantasque et un petit-fils, sans pouvoir compter sur son fainéant de mari qui l’a quittée. Le café est le refuge de gentils marginaux : un serveur amérindien lymphatique, Rudy Cox, un ancien peintre décorateur d’Hollywood, une tatoueuse misanthrope ainsi que Eric, un campeur lanceur de boomerang.

L’étrange phénomène optique observé par Jasmine au début du film (et peint par Rudy), et qu’elle nomme sa « vision », existe : il s’agit d’un parhélie. En revanche, ce phénomène se produit habituellement surtout dans les régions polaires, étant dû à une réfraction lumineuse sur les cristaux de glace contenus dans les nuages de haute altitude.

Out of Rosenheim ? Public allemand mis à part, ils ne sont pas nombreux à avoir entendu parler de Rosenheim, ville typique de Haute-Bavière avec ses maisons jolies comme des cartes postales et ses places piétonnes impeccables de propreté.  « Badgad Café », c’est quand même plus parlant. Rappelons que nous sommes en 1987, encore loin du désastre à venir. En plus, Bagdad existe aussi ailleurs.

C’est au printemps 1987,  du 16 mars au 16 avril pour être précis, que  Percy Adlon plante sa caméra au Sidewinder Cafe, un motel crasseux, sans clients, qui peine à vivoter à quelques enjambées du (vrai) village fantôme de Bagdad, à Newberry Springs, sur l’ancienne Route 66.  Rebaptisé Badgad Café, l’endroit est devenu culte et continue d’attirer de nombreux fans nostalgiques du bon vieux temps. Les murs où sont épinglés cartes postales, tee-shirts et brassards bleu-blanc-rouge témoignent du passage massif des fans français (70% des visiteurs).

En ce mois de mars, donc, il fait chaud, il fait poussière et il fait colère. Un couple de touristes visiblement en phase de rupture se dispute. La querelle de trop. Une gifle. Monsieur remonte dans sa voiture, démarre en trombe et sort de l’écran dans un nuage de sable. Madame reste sur le bas-côté de la 66. Très digne, Jasmin Münchgstettner, échouée en plein désert dans son tailleur en loden, un chapeau feutre à plumes sur la tête, Bavière oblige.

Sous un soleil de plomb, la voici au milieu d’un immense nulle-part, tirant sa valise à roulettes vers un avenir qui se dessine à l’horizon sous la forme d’un établissement moitié hôtel moitié pompe à essence. Vraisemblablement hors service, les deux. Atterrir dans cet estaminet est une chose, y être accueillie en est une autre. « Elle tombe du ciel …  sans voiture ! » s’inquiète Brenda qui doit gérer, outre sa famille passablement déjantée, une poignée d’originaux en tous genres.

Jasmin s’installe. À grands coups de chiffon, elle fait le ménage à fond, comme elle l’aurait fait dans sa  lointaine Bavière. Elle décrasse le bouiboui et bouleverse petit à petit le quotidien de cette petite communauté. Jusqu’au jour où son visa expire. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Elle reviendra, Jasmin !

Étrange, intemporel, magnétique, décalé, inclassable, surréaliste. « Bagdad Café » ne ressemble à rien, échappe à toute étiquette. Un OVNI. C’est l’histoire d’un monde où les frontières culturelles n’existent plus. C’est l’histoire d’un café qui n’a plus de café. C’est l’histoire de Brenda, la propriétaire. Une femme à vif. Tout sépare Jasmin et Brenda. Pourtant, par petites touches successives les deux femmes vont finir par s’apprivoiser et se compléter. L’idée généreuse portée par le réalisateur, c’est que toutes les singularités peuvent dialoguer. C’est une fable, l’artifice des couleurs est là pour le rappeler. Dans cette utopie, Percy Adlon le magicien a mis une irrésistible dose de conviction.

Et il a su s’entourer d’acteurs formidables à l’image de Marianne Sägebrecht, Jack Palance ou CCH Pounder, irréductible trio de tête. Cerise sur le gâteau : la musique ! Le film est bercé par la voix de Jevetta Steele qui interprète « Calling You ». Inoubliable composition signée Bob Telson.

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