1) Les Indes Galantes
de Clément Cogitore
Durée 05’26 • Catégorie Fiction • Pays France • Année 2018 •
D’une rare intensité ! Prix du public au Festival de Clermont-Ferrand 2018.
Le “krump” est une danse née dans les ghettos noirs de Los Angeles après les émeutes de 1995. Clément Cogitore, à travers cette performance filmée sur le plateau de l’Opéra Bastille, crée une “battle” entre la culture urbaine et la musique de Rameau.
À la fois cinéaste et artiste contemporain, Clément Cogitore ne cesse de surprendre, relevant des défis à chaque fois très différents, depuis un premier long métrage de fiction tourné aux confins de l’Afghanistan en guerre (Ni le ciel ni la terre, 2015) à un moyen métrage documentaire entraînant dans un coin perdu de Sibérie (Braguino, 2017). Les Indes galantes est sa réponse à une carte blanche offerte par 3 e Scène, l’espace numérique de l’Opéra de Paris, pour réunir en un maelström de musique, de danse et d’émotion deux époques et deux styles artistiques éloignés. La musique de l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau, composé en 1735, rencontre l’une des formes d’expression les plus dynamiques de la danse de rue contemporaine, le “krump”.
Dépassant de très haut la simple captation, le film repose sur une mise en scène sophistiquée, alternant moments d’improvisation chorégraphique et mouvements dûment répétés en amont, pour un crescendo intense et galvanisant, d’une stupéfiante beauté formelle. Le public du plus grand festival de courts métrages au monde, celui de Clermont-Ferrand, ne s’y est pas trompé, lui attribuant son Prix en février 2018.
2) FEMMES D’ARGENTINE
de Juan Solanas
Durée : 1h 26min
Genre : Documentaire
Réalisateur : Juan Solanas
Nationalités : argentine, française, uruguayenne
En Argentine, où l’IVG est interdite, une femme meurt chaque semaine des suites d’un avortement clandestin. Pendant huit semaines, le projet a été âprement discuté au Sénat, mais aussi dans la rue, où des dizaines de milliers de militants ont manifesté pour défendre ce droit fondamental. Les féministes argentines et leur extraordinaire mobilisation ont fait naître l’espoir d’une loi qui légalise l’avortement.
Alors que l’Alabama vient d’adopter une loi anti-avortement, visant à interdire la pratique de l’IVG, le documentaire Femmes d’Argentine (Que Sea Lay) de Juan Solanas retrace le combat acharné des groupes féministes en Argentine pour la liberté de disposer de leur propre corps. Après une émouvante montée des marches des Foulards Verts, le documentaire projeté en séance spéciale, dresse le portrait édifiant du combat pour le droit à l’IVG.
En Argentine, près de 40% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, privant ainsi la population, et surtout les femmes, de l’accès à la santé. En 2018, un projet de loi en faveur de la légalisation de l’IVG parvient à atteindre le Sénat. Que Sea Lay – “que loi soit faite” en français – donne la parole à celles qui se battent au quotidien. Derrière l’énergie joyeuse des manifestations féministes se cache une douleur impénétrable. Les témoignages sont d’une violence inouïe. Il y a déjà celle physique, insupportable de l’avortement clandestin effectué dans des conditions sanitaires déplorables, à laquelle s’ajoute la culpabilité de l’Etat. Insultées, méprisées, punies pour avoir fait le choix de ne pas enfanter, les femmes sont torturées par le personnel médical au point de les priver de leur droit les plus basiques.
Femmes d’Argentine entrecroise les points de vues, entre religion, politique et vie intime, pour faire émerger un même constat : le débat est hypocrite et va bien au-delà de considération morale, puisqu’il cache derrière un profond désir de contrôle sur le corps féminin. Le documentaire a l’intelligence d’ouvrir les perspectives, plutôt que de s’enfermer dans des cases : la diversité des intervenant(e)s, de l’homme d’Eglise pro-avortement à la sénatrice farouchement opposée, le documentaire ne verse pas dans la facilité, ni dans le larmoyant.
Bien au contraire, malgré la gravité des témoignages, Femmes d’Argentine est traversé par un espoir qui force l’admiration. Le documentaire n’en est que plus bouleversant. D’abord parce qu’il pose un parallèle tragique avec l’actualité, rappelant que les droits des femmes ne sont jamais totalement acquis. Et aussi par son message final, imprimé en gros caractère : le combat pour les droits des femmes ne peut être fait avec douceur. “ Vous y arriverez”, imprimé en lettre immense est aussi inspirant que dévastateur : en ces temps difficiles, où certaines grandes nations décident de faire un terrifiant pas en arrière, le film rappelle que le combat n’est jamais terminé, mais qu’il ne sera fera pas sans nous.
Le message est d’autant plus fort : diffusé dans le plus grand festival de cinéma du monde, où la critique est encore essentiellement masculine, le documentaire possède la fenêtre parfaite pour hurler sa colère au monde entier. Et rappelle, s’il le faut encore, que la politique a parfaitement sa place dans le cinéma.
(Commentaire extrait du Blog « Le bleu du miroir »)