16 juin – Les fraises sauvages – Le repas dominical

LES FRAISES SAUVAGES

Ingmar Bergman

 

Date de sortie : 26 décembre 1957

Durée : 1h 31min

Date de reprise : 26 septembre 2018 – Version restaurée

Réalisé par : Ingmar Bergman

Avec : Victor Sjöstrom, Bibi Andersson, Ingrid Thulin

Genre : Drame

Nationalité : suédoise

La veille de la cérémonie qui doit honorer et célébrer sa longue carrière de médecin, le professeur Isak Borg fait un rêve étrange où il est confronté à sa propre mort. Le lendemain, il décide de partir en voiture à l’université de Lund en compagnie de Marianne, sa belle-fille. Durant le trajet, le vieux professeur fait le bilan d’une vie gâchée par l’égoïsme. Il revoit sa jeunesse avec « le coin des fraises sauvages » où l’entraînait sa cousine. Puis il évoque ses souvenirs de sa vie de médecin de campagne.

« Quelques mois après sa fameuse réflexion sur la mort, Le Septième Sceau, Bergman en propose une nouvelle avec ces Fraises sauvages. Il y fait le portrait d’un vieux professeur assailli par de sombres rêves, bousculé par des visions de corbillard, et par sa bru, qui lui reproche d’être un égoïste froid. Isak a pourtant l’air d’un brave retraité, et le cinéaste Victor Sjöström, qui l’interprète, a toute l’affection de Bergman. Pendant le voyage en voiture qui le conduit à une cérémonie donnée pour lui, le professeur s’échappe en pensée vers le paradis de sa jeunesse, une maison de famille dans les bois, où une jeune fille qu’il aime cueille des fraises sauvages. Mais, là aussi, une image de lui moins idyllique le rattrape.

Dans ce bilan d’une existence, Bergman se montre d’une honnêteté impressionnante. Pour dire l’hypocrisie qui mine une histoire familiale, la dureté du temps qui passe et qui finit par confondre la valeur de la vie et celle de l’héritage, le cinéaste se passe d’euphémismes. Il n’a alors que 39 ans et semble avoir déjà tiré les leçons de toutes les désillusions. Mais sa clairvoyance n’est jamais amertume. Son film est un road-movie avant l’heure, où il sait entretenir le doute. Le professeur était fermé à la vie, et voilà qu’elle le réveille pour lui offrir une chance d’être un homme d’émotions. Magnifique. » (Télérama, Frédéric Strauss)

Ingmar Bergman a écrit le scénario des Fraises sauvages sur un lit d’hôpital, ce qu’il renouvellera pour Persona. L’acteur principal, Victor Sjöstrom, un pionnier du cinéma suédois, était alors en très mauvaise santé (il décèdera deux ans plus tard) et certaines scènes, notamment celles dans la voiture, ont été réalisées en studio. Le réalisateur dira : « Nous avons tourné les gros plans d’Isaac Borg (joué par Victor Sjöstrom) lorsqu’il trouve la lumière et la paix intérieure. Son visage brillait d’un éclat mystérieux, reflet d’une autre réalité. Ses traits étaient brusquement devenus doux, presque effacés. Il avait l’air ouvert, souriant, tendre. C’était un miracle. Le calme total… la paix et la lumière de l’âme. Jamais avant ni depuis je n’ai rencontré de visage si noble et si libéré ».

Les fraises semblent être en quelque sorte la « madelaine de Proust » de Bergman. En effet, elles sont omniprésentes dans plusieurs films dont Jeux d’été ou Le septième sceau. Woody Allen, fan incontestable de Bergman, déclare « L’horloge sans aiguilles, les chevaux qui tirent le char funèbre et qui soudain se figent, le soleil aveuglant et le visage du vieil homme tandis que son squelette le place dans le cercueil. Qui peut oublier de telles images ? ».  Il en reprendra d’ailleurs certains thèmes : la mort, la solitude, la complexité du couple…

« Quelle aura été l’ambition d’Ingmar Bergman ? Être un artiste ? Sans doute. Mais pas comme un peintre, pas comme un musicien peuvent se penser artistes. Bergman est plutôt l’équivalent, au vingtième siècle […] qui est celui du cinéma, de ce qu’ont été au dix-neuvième les auteurs de romans et les auteurs dramatiques. Un pourvoyeur d’imaginaire, si l’on veut ; mais j’aime mieux considérer, pour parler de lui, que le roman, la littérature et le drame sont des pourvoyeurs de réalité, et profonde. » (Jacques Aumont, Cahiers du Cinéma Auteurs).

Bergman confiait à Olivier Assayas et Stig Björkman pour les Cahiers du Cinéma : « Je pense qu’en enfer je vais devoir m’asseoir dans une salle de projection et voir mes propres films pendant deux ou trois éternités. Je pense que ça sera ma punition. »

Ce film, avec Les raisins de la colère, a donné ses lettres de noblesse au genre du road-movie.

Les Fraises sauvages obtient l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1958.

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Le court

Le repas dominical

Un succès immense qui éclipse presque les magnifiques qualités cinématographiques de ce film déjà culte.

C’est dimanche. Au cours du repas, Jean observe les membres de sa famille. On lui pose des questions sans écouter les réponses, on lui donne des conseils sans les suivre, on le caresse et on le gifle, c’est normal, c’est le repas dominical.

Multipliant les sélections, nominations et distinctions depuis sa présentation au festival de Cannes en 2015, Le repas dominical rencontre un tel succès que cela risque paradoxalement de lui porter préjudice, tant il en occulterait presque ses magnifiques qualités cinématographiques. Or il est primordial de ne pas perdre de vue la superbe adéquation, dans ce coup de maître d’une ancienne élève de l’Ensad, entre la narration et la forme, intimement liées : ce qui transparaît à l’écran est l’écho direct du récit en voix-off de Jean, à qui Vincent Macaigne, icône du jeune cinéma français contemporain, offre son timbre singulier et son talent polyvalent.

La causticité du déjeuner familial conduisant le jeune homme chez ses parents, le dimanche midi, prend un tour surréaliste à travers le dessin de Céline Devaux et les équivalents visuels qu’elle apporte aux propos et aux pensées de son héros plongé dans un véritable cauchemar aux épisodes inattendus, alors que la question de sa sexualité – il vit avec un garçon – se trouve au coeur des enjeux familiaux. Le montage tenant à la frénétique profusion achève de faire de ce Repas dominical une expérience unique et assez inédite.

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