Hildegard Knef

K comme Knef

 

Grande figure du cinéma. Grande dame de la chanson. Hildegard Knef – la star made in Germany    

 

Le cinéma allemand des années 1920 avait été le meilleur du monde. On sait comment il plongea après l’arrivée au pouvoir du national-socialisme. Passons sur les fictions de ces années-là. Cependant, qui dit films dit aussi studios, notamment ceux de la UFA, à Babelsberg. Mythiques depuis que Fritz Lang y a tourné Metropolis. Imaginez un immense complexe qui, outre ses ateliers de truquage et ses usines de fabrication de décors héberge aussi ses propres centres de formation. Le top du top à une petite demi-heure de Berlin. Le must pour qui se destine au 7ème art. C’est là qu’on retrouve Hilgedard Knef, en 1942. Elle a 16 ans. Ambitieuse mais sans piston, elle suit d’abord des cours de dessin animé. A peine deux ans plus tard, repérée par un metteur en scène, elle entre à la Grande école du cinéma de Babelsberg.

 

Zone d’ombre

Et c’est le coup de foudre. Que le cœur d’une apprentie comédienne batte la chamade pour un producteur n’a rien de répréhensible. Sauf que dans le cas d’Hildegard le producteur en question est un nazi pur jus qui veille à l’aryanisation du grand écran comme à la prunelle de ses yeux bleus. «Mon premier grand amour», écrira-t-elle dans ses mémoires. Passion aveugle ou carriérisme? Difficile de porter un jugement. Ses biographes n’ont rien trouvé qui prouve une quelconque implication dans le régime. On dit même qu’elle n’aurait pas été étrangère à l’arrestation de son amant, en 1945. Une rumeur, pas de preuve. Reste une zone d’ombre dans son CV.

 

Après la guerre, les studios de Babelsberg se retrouvent en zone d’occupation soviétique. Les cinéastes frappés d’interdiction sous le troisième Reich se remettent au travail. Wolfgang Staudte tourne Les assassins sont parmi nous. Sortie en 1946, cette dénonciation virulente des crimes de guerre et de la bonne conscience des coupables n’est pas seulement le premier grand film allemand de l’après-guerre, elle donne au cinéma d’outre-Rhin renaissant sa première star. Hildegard Knef, c’est un regard, une voix, une sensualité à fleur de peau, une présence et surtout une façon de se comporter face à la caméra qui tranche sur le jeu grandiloquent des actrices de sa génération.

 

Avec Marlène

De l’autre côté de l’Atlantique, David O. Selznick commence à s’intéresser à la belle blonde qui vient de remporter le Prix d’interprétation féminine de Locarno. Ne résistant pas à l’appel du producteur d’Autant en emporte le vent, la voilà qui part aux Etats-Unis avec des projets plein la tête et prête à travailler d’arrache-pied pour accéder aux cieux hollywoodiens. Mais les dieux vont en décider autrement. Nous sommes en 1948 et Billy Wilder vient de terminer A Foreign Affair (La Scandaleuse de Berlin). On dit que Marlène Dietrich a longtemps hésité avant d’accepter le rôle cette chanteuse de cabaret, ex-maîtresse de hauts fonctionnaires nazis, puis d’un militaire américain selon les retournements de l’histoire. D’aucuns y voient une allusion d’autant plus évidente au passé d’Hildegard Knef qu’elle a effectivement épousé un officier américain stationné à Berlin. Entre-temps, le couple est sur le point de se séparer. L’«affaire» tombe vraiment mal. Selznick a un contrat tout beau tout prêt pour sa protégée, ne reste plus qu’à le signer, de préférence sous un nom d’emprunt plus vendeur – Gilda Christian par exemple. Elle refuse net. Sa carrière américaine s’arrête avant même d’avoir commencé.

 

Horreur, un nu!

« Confessions d’une pècheresse »

Hildegard Knef nue. En réalité, on ne voit pas grand-chose, la scène ne dure que quelques secondes. Suffisantes pour déclancher un ouragan d’indignation. Pour comprendre ce qui se passe, il faut savoir qu’après son redémarrage prometteur de l’après-guerre le cinéma allemand était vite retombé dans la niaiserie rurale (Heimatfilme). La médiocrité à la sauce réactionnaire fait recette. D’où le scandale provoqué par Confession d’une pécheresse de Willi Forst. Parce qu’en plus du nu, il y a le contenu: l’histoire d’une prostituée et d’un peintre presque aveugle qui s’aiment et se donnent la mort. Ça n’a évidemment rien à voir avec les romances de berger-bergère dans-la-Forêt-Noire. Les journaux de se déchaîner, l’église catholique toutes soutanes dehors d’en exiger l’interdiction. Ce qui n’empêche pas ses ouailles (surtout de sexe masculin) de s’y presser par millions. Un peu plus de trois millions d’après les statistiques, ce qui est énorme. Résultat des courses: le film est un succès mondial.

 

« Silk stockings »

Les engagements pleuvent sur la star made in Germany. Entre 1951 et 1954, elle est partout, en Allemagne, en France, en Angleterre, aux Etats-Unis. On la retrouve dans La fête à Henriette de Julien Duvivier (Prix de la critique en 1953), L’homme de Berlin de Carol Reed, Le traître d’Anatole Litvak, Le courrier diplomatique d’Henry Hathaway, Les neiges du Kilimandjaro d’Henry King… Bref, 13 films en trois ans. Et puis il y a l’appel de Broadway. Cole Porter – qui a composé une version comédie musicale de Ninotschka (le film de Lubitsch)- lui propose le rôle principal. La première de Silk Stockings (La Belle de Moscou) a lieu en février 1955 au prestigieux Imperial Theatre, et c’est un formidable succès qui tiendra le haut de l’affiche pendant presque deux ans. 675 représentations! Un triomphe.

 

« Madeleine et le légionnaire »

Retour tout aussi triomphal en Europe en 1957. De nouveau, Hildegard Knef fait la couverture des magazines comme «Stern» ou «Cinémonde», est l’invitée d’honneur de l’émission de Fédéric Rossif et Jean Bescont, «Cinépanorama». La BBC lui consacre même un show qui fera date dans l’histoire de la télé britannique. Elle est partout… sauf sur un plateau de tournage. Le cinéma allemand patauge dans la crise, la génération des Herzog et Schlöndorff n’est pas encore en vue. Parmi les anciens, il y a Wolfgang Staudte qui veut marquer un grand coup avec celle qu’il avait lancée dix ans auparavant. En fait de grand coup, Madeleine et le légionaire est un flop, un four, un bide, une catastrophe. La critique est impitoyable. «Vous en avez eu de la chance, vous, d’avoir rencontré Fassbinder» dira-t-elle plus tard à Hanna Schygulla.

 

Ses apparitions se font plus rares. En 1962, on la voit affronter Landru dans le film de Claude Chabrol, incarner la Catherine de Russie d’Umberto Lenzi en 1963 ou lutter contre des monstres géants dans le Peuple des abîmesde Michael Carreras en 1968. Elle a 43 ans, on la croit finie. Erreur! La voilà qui décide d’entamer une seconde carrière,

« Fedora »

qui part en tournée, qui interprète Brecht, qui épate le public. «J’ai toujours aimé chanter, mais je n’ai pas la prétention de savoir chanter». Il fallait être culottée pour se lancer dans une pareille entreprise. A la radio, selon les chaînes, il n’y en a que pour les Beatles ou la chansonnette folklo à l’eau de rose. Entre les deux, rien. Le créneau est libre, Hildegard s’en empare avec sa voix rauque qui se fiche de la justesse du son, et devient la grande dame de la chanson. Ce qui ne l’empêche pas de revenir de temps en temps au cinéma, en 1978 dans Fedora, un film méconnu de Billy Wilder, en 1984 dans L’avenir d’Emilie de Helma Sanders-Brahms. Entre planches et plateau, elle écrit. Son récit autobiographique, «A cheval donne», est un best-seller qui sera traduit en 17 langues. Sur le tard, malgré l’âge et le cancer qui la ronge, elle enregistrera encore du jazz. Un dernier petit tour de CD et puis s’en ira le 1er février 2002.

Jacqueline Deloffre, Le jeudi

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