17 octobre – Trois francs six sous – Quand passent les cigognes

Le court :

Trois Francs Six Sous

de Morgan Ladjel, Florence Blain, Varoon Indalkar

film d’animation muet 2019  06’30

Des images à couper le souffle dans ce récit rural de 1945, le marché noir et les  secrets de famille fleurent bon une France alors occupée.

Durant la Seconde Guerre mondiale, un agriculteur français nommé Marcel espère revoir un jour une lueur de vie dans le regard de sa mère, Josépha. Elle est plongée dans un état végétatif depuis la disparition de son fils aîné. Marcel commence à aider des victimes de la guerre sans réaliser l’ampleur des conséquences de ses actes.

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Le long :

QUAND PASSENT LES CIGOGNES

de Mikhail Kalatozov

 

Date de sortie : 12 octobre 1957 (URSS), 11 juin 1958 (France)

Date de reprise : 30 octobre 2019

Réalisé par : Mikhail Kalatozov

Avec : Tatiana Samoilova, Aleksey Batalov, Vasili Merkuryev

Nationalité : Soviétique

Titre original : Letyat Zhuravli

 

A Moscou, en 1941. Boris et Veronika sont épris l’un de l’autre. Ils se promènent, le soir, tendrement enlacés, au bord de la Volga. Ces amours juvéniles sont bientôt interrompues par la déclaration de guerre. Boris s’engage, malgré la violente réprobation de son père, Fiodor Borozdine, médecin à Moscou. Sur le quai de la gare, prêt à partir pour le front, Boris s’étonne de l’absence de Veronika. Celle-ci arrivera, mais trop tard, pour saluer celui qu’elle aime. Ce sera la grand-mère de Boris qui remettra à la jeune fille le petit écureuil en peluche que Boris voulait lui offrir en cadeau d’adieu. La guerre exerce ses ravages. La famille de Veronika meurt dans un bombardement. La jeune femme se réfugie chez les Borozdine…

Palme d’or à Cannes en 1958 « pour l’ensemble de ses qualités artistiques et humaines  » – dixit Marcel Achard, président du jury. La qualité artistique, l’originalité photographique, on les doit énormément  au chef opérateur Sergueï Ouroussevski, lequel se voit d’ailleurs remettre le Prix de la Commission supérieure technique du festival.

Et si ce film est aussi empreint d’humanité, c’est que Mikhail Kalatozov se démarque de tout élan patriotique en racontant une histoire d’amour dans un esprit totalement neuf, de surcroit non dénué d’esprit critique.

Souvenons-nous du contexte. Nous sommes en 1957, Staline est mort depuis quatre ans. Nikita Sergueïevitch Khrouchtchev, alors premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique, lance le processus de déstalinisation. On ne risque plus la peine capitale ou la déportation pour avoir prononcé une parole de trop. On peut dire que « Quand passent les cigognes » symbolise une sorte de dégel. Le public soviétique ne s’y trompe pas. Ils sont 28 000 000 ( !) à le voir pendant l’hiver 1957.

Une femme attend le retour d’un homme

Avec ce film, Kalatozov signe un drame profondément humain qui se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. Une situation qu’on pourrait hélas qualifier de banale, vu ce que nous savons aujourd’hui de l’ampleur du désastre : une femme attend le retour de son homme. Veronika attend le retour de Boris, son fiancé.

Boris est parti se battre sur le front de l’Est où les combats contre les armées du III. Reich font rage. Sans nouvelle de son bien-aimé, terrorisée par les bombardements qui s’acharnent sur la ville, à bout de force, elle finit par succomber aux avances de Mark qui abuse d’elle. Un type peu glorieux, ce Mark, un planqué à l’image de ceux qui passent du bon temps à l’arrière et qui se livrent à de sombres trafics pour satisfaire leurs caprices, alors que tout le monde manque de tout.

Délaissée, désabusée, Veronika décide de s’investir dans l’aide aux soldats blessés – avec l’espoir chevillé au corps de retrouver Boris. Soignante dans un hôpital de campagne, confrontée à la douleur, à l’angoisse des éclopés, des mutilés, des agonisants, elle prend conscience de toute l’horreur de la guerre.

Un cinéma novateur

Kalatozov nous fait entrer dans son récit par un préambule. C’est le calme d’avant la tempête. Veronika et Boris sont amoureux, ils batifolent, l’avenir leur tend les bras, un vol de cigognes traverse le ciel ….

Ce sont aussi les mouvements de caméra qui font la réputation du film. N’ayons pas peur des mots : de véritables exploits techniques On se souvient notamment d’une montée d’escalier où Boris est suivi du début à la fin par l’œil de la caméra, toujours à sa hauteur, qui ne le  lâche pas d’une semelle. Claude Lelouch a filmé le tournage de cette scène en 1957 pour son reportage « Quand le rideau se lève ».

 

On se rappelle ce plan qui suit Veronika en train de descendre d’un tramway, qui court dans la foule pour voir un défilé, qui s’arrête à une barrière tandis que la caméra s’élève, s’élève, s’élève ….

 

 

Somptueuses également sont les images de Véronika, lumineuse en robe de mariée, au bras de Boris, tous deux ivres de bonheur. Ultimes divagations d’un homme en train de succomber à ses blessures dans le froid et la boue.

 

Et comment ne pas évoquer la scène finale, à la gare, où Veronika, folle d’espoir, un bouquet de fleurs à la main, traverse la foule en liesse (une autre prouesse technique) qui acclame les soldats de retour au pays. C’est alors qu’elle apprend la mort de Boris de la bouche de celui qui l’a vu mourir. Un vol de cigognes passe dans le ciel …

À la sortie du film, Éric Rohmer, encore critique à l’époque, écrit : « Nous trouvons tout ici : la profondeur du champ et les plafonds d’Orson Welles, les travellings acrobatiques d’Ophuls, le goût viscontien de l’ornement, le style de jeu de l’Actors Studio (…)  Pour moi, j’ai été tour à tour : remué par la nouveauté du ton, irrité par la volonté systématique et un peu anarchique de briller, ébloui tout de même par l’éclat des ornements dans la scène des adieux manqués, celle du bombardement ou celle de la mort de Boris (…) »

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