22 octobre – Don Giovanni – Berceuse pour 17 gratte-ciels, 192 immeubles…

DON GIOVANNI

de Joseph Losey

Date de reprise : 3 septembre 2014 (3h 05min)

Date de sortie : 1979

Durée : 3h 05min

Réalisé par : Joseph Losey

Avec : Ruggero Raimondi, Kenneth Macurdy, Edda Moser

Genre : Musical

Nationalités : américaine, italienne, française

Don Giovanni est un noble coureur de jupons, incapable de rester fidèle à son épouse et désirant toutes les femmes. Un jour, il essaie de séduire la belle Anna, mais le père de celle-ci les surprend ! Fou de colère, il provoque en duel l’agresseur de sa fille. L’homme meurt, laissant Anna effondrée… Elle va alors tout faire pour se venger.

Le film doit son existence à trois hommes : Daniel Toscan du Plantier, qui voulait des opéras filmés par des cinéastes confirmés, mais qui ne soient pas des afficionados de l’opéra ; Rolf Libermann, directeur de l’Opéra de Paris, qui voulait élargir le public très limité des salles d’opéra et qui a eu l’idée de tourner en play back dans les décors de Palladio et Joseph Losey, qui a débuté au théâtre et que l’idée de filmer un opéra intéressait déjà depuis un certain temps. Rolf Liebermann (scénariste du film) voulait démocratiser le genre, donner la possibilité d’y accéder à la « génération blue-jean ». Le succès du film a été est aussi énorme en France (1 million de spectateurs) que l’échec a été foudroyant aux États-Unis.

La réalisation est confiée au cinéaste Joseph Losey, universellement connu – entre autres – pour son film The servant, alors agé de 79 ans, et qui tourne pour la première fois un film musical qui bénéficie de la participation des plus grands noms de la scène classique de l’époque : outre Lorin Maazel à la direction orchestrale, les chanteurs Ruggero Raimondi, José van Dam et la cantatrice Kiri Te Kanawa – tous époustouflants – complètent une distribution quatre étoiles.

Il décide de filmer en décors naturels, en majorité dans la célèbre Villa palladienne La Rotonda, près de Venise, qui sert aussi quelque peu de décor au film. La bande son ayant été réalisée antérieurement en studio, avec l’orchestre de l’Opéra de Paris sous la direction de Lorin Maazel, les solistes sont filmés en play-back. Seuls les accompagnements de récitatifs au clavecin (Jeanine Reiss) sont interprétés directement sur le plateau. Cela ne va pas sans générer quelques difficultés, notamment dans las conditions très humides du marais. Sans compter que la bande-son a été compliquée par l’emploi du tout récent Dolby-Stéréo.

Respectueux de l’opéra d’origine, interprété dans son intégralité, le long-métrage parvient à se démarquer des autres productions de ce type par une habile gestion de l’espace, une alternance constante entre scènes d’intérieur et d’extérieur, mais également par l’extrême fluidité de la caméra de Losey. Jouant comme à son habitude avec les thèmes du double, du miroir et de la soumission (comme dans The servant en 1963), le cinéaste s’appuie sur l’ambiguïté du livret de da Ponte pour explorer plus en profondeur la sexualité des protagonistes, l’ivresse de la vie, ainsi que l’angoisse face à la mort. Le personnage de Don Giovanni est ici un collectionneur de femmes, à la fois séduisant, provocateur et égoïste, auquel chaque spectateur aime à s’identifier. Menteur, profiteur, il abuse également de sa position sociale pour soumettre davantage de proies féminines (ou masculines comme le suggèrent par instants quelques brèves notations du livret et la présence de quelques figurants efféminés). Fascinés par cette figure emblématique, les différents auteurs n’ont eu pourtant de cesse de le condamner à un sort funeste. Losey, à la suite de Mozart, l’envoie brûler aux enfers dans une scène finale d’une beauté à couper le souffle.
Souvent légère, licencieuse et enlevée, cette œuvre majeure sait se faire plus grave lors des premières séquences mettant en scène la mort du Commandeur, à la fin du premier acte et dans les toutes dernières minutes. A chaque seconde pourtant, la magnifique musique de Mozart, le fascinant livret de da Ponte et la beauté des images se complètent avec délice pour former un spectacle total, sans doute le plus abouti de tous les opéras filmés. (Avoir-Alire)

Don Giovanni contient toutes sortes d’éléments reflétant ou annonçant les mouvements sociaux qui agitèrent l’Europe à la fin du XVIIIème, notamment la Révolution, qui éclata deux ans après sa création. Pour autant que je sache, Mozart n’était pas particulièrement « conscient » sur le plan politique, mais ses liens avec la Franc-maçonnerie l’ont sans doute sensibilisé à ces mouvements. J’y ai fait une allusion dans un plan de l’ouverture, en plaçant un Maçon dans l’entourage de Don Giovanni. Dans le bal, vous remarquerez aussi que seuls les aristocrates chantent « Viva la libertà », séparés des gens du peuple par une rangée de valets. (Joseph Losey dans Reflets du Temps)

Ce que Losey propose n’est pas un opéra filmé. C’est un opéra-film, l’œuvre d’un vrai cinéaste qui se met au service d’un opéra. Losey réfléchit sur la nature de l’opéra, pas de façon théorique, pas sur ces soi-disant ontologies de chaque art qui les enferment dans des cocons et des carcans, mais à partir des contraintes matérielles qui en ont fait un art étrange, différent des autres et dans lequel on accepte l’inacceptable, car c’est justement cet inacceptable qui le rend infiniment désirable.

« Splendeur des décors palladiens, mise en forme éblouissante, fluidité presque surnaturelle de la mise en scène de Losey… et bien entendu la musique, admirablement portée par des voix célèbres. Mozart n’a jamais été aussi bien servi par le cinéma, et aucune adaptation filmée d’un opéra n’est arrivée à la même notoriété. » (Cinématek)

Lieberman voulait « un Don Giovanni nouveau, accessible au monde entier, sans que la multiplication ne diminue la qualité. Don Giovannipour tous, mais pas au rabais ». Le film a été récompensé en 1980 par le César du meilleur montage (Reginald Beck) et le César des meilleurs décors (Alexandre Trauner).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le court

Berceuse pour 17 gratte-ciels, 192 immeubles et 13 851 habitants

de Antoine Janot

France, 2015, Expérimental, Couleur, Sans dialogue – 02’20 -

Synopsis : Dans un ballet de notes savamment orchestrées, un piano souffle les lumières de la ville.

L’avis du programmateur : Technicien audiovisuel diplômé et passé par la Sorbonne pour un Master en cinéma, Antoine Janod a publié un essai intitulé ‘Le cinéma est-il devenu muet ?’. Avec sa Berceuse’, il répond à cette question en n’utilisant jamais la parole, mais uniquement la musique et l’image. Le son est celui du piano d’une jeune femme, dont les notes trouvent un écho dans une série de lumières d’une ville lambda, qui s’éteignent comme par magie au gré de la musique. Une grande poésie imprègne ce très court métrage aux plans superbes, particulièrement hypnotique en évoquant ce moment où la ville s’endort. Les gros plans sur les touches, une partition ou une bougie donnent le bon ‘la’ à quelques dizaines de secondes d’enchantement intégral. Il y a une certaine magie à cette coïncidence des notes qui résonnent et des lumières qui s’éteignent. L’artiste, assise à son piano, apparaît comme une grande ordonnatrice, ce qui n’est rien d’autre que le résumé du rôle même du réalisateur, véritable deus ex machina de son propre film.

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