30 avril – Le procès de Viviane Amsalem – Aïssa

LE PROCES DE VIVIANE AMSALEM

גט – המשפט של ויויאן אמסלם

Un sentiment de stupeur mêlé de chagrin a envahi les cinéphiles au mois d’avril dernier, lors de l’annonce de la disparition de Ronit Elkabetz à l’âge de 51 ans. A travers ses compositions de femme indépendante et passionnée chez Keren Yedaya, Eran Kolirin ou Amos Gitai, l’actrice symbolisait mieux que quiconque la vitalité du cinéma israélien.

Date de sortie : 25 juin 2014

Durée : 1h 56

Réalisé par : Ronit et Shlomi Elkabetz

Avec : Ronit Elkabetz, Menashe Noy, Simon Abkarian…

Genre : Drame

Nationalités : Française, Israélienne, Allemande

Voilà trois ans que Viviane Amsalem, la quarantaine, demande le divorce au prétexte qu’elle n’aime plus son mari. Et que ce dernier, Elisha, le lui refuse, arguant qu’il l’aime toujours… Tout cela serait d’une grande banalité si cette crise conjugale n’avait pour cadre Israël, pays où il revient à un tribunal rabbinique de prononcer la dissolution d’un mariage. Avec cette contrainte supplémentaire : le divorce ne peut se faire qu’avec le consentement de l’époux.

Ce film conclut avec force une trilogie commencée avec Prendre femme (2004) et poursuivie avec Les sept jours (2008).

Son mari est-il un mauvais mari ? L’a-t-il jamais battue, trompée ?… Privée du nécessaire ? Non. Alors, pourquoi Viviane Amsalem tient-elle tant à divorcer ? «Qui peut savoir ce qui se passe entre eux?» interroge l’avocat de Viviane. Comme le spectateur. Les réalisateurs distillent adroitement le suspense. Les témoignages, qui en disent à chaque fois un peu plus sur le couple, sont ponctués d’indications temporelles. Les mois se succèdent, puis les années, le procès s’éternise comme un jour sans fin et l’affaire n’est toujours pas résolue.

Irréconciliables, Viviane et Eliahou ne sont presque jamais présents dans le même plan, tandis que les trois juges-rabbins sont le plus souvent filmés ensemble, formant une redoutable hydre à trois têtes. Ils représentent le pouvoir de la religion, et aussi celui des hommes, des pères –l’avocat de Viviane est d’ailleurs sans cesse comparé à son père, rabbin très réputé. « Sachez quelle est votre place, femme », dit un des juges à Viviane qui, bravache, exposera sa féminité en défaisant son chignon ou en arrivant vêtue d’une robe rouge vif.

Depuis toujours et encore aujourd’hui, le mariage civil est proscrit en Israël, l’union des deux époux étant intrinsèquement liée au code religieux. De ce fait, lors d’une procédure de divorce, l’époux doit donner son accord pour que la séparation puisse être officialisée. Même si la femme déclare son approbation, tant que le mari n’a pas donné son aval, la procédure ne peut être enclenchée. Tout l’enjeu du Procès de Viviane Amsalem repose sur cette loi religieuse qui n’a jamais subi d’évolutions et qui prive les femmes du droit au divorce : « Le Procès… » n’est pas seulement l’histoire de Viviane mais il est une métaphore de la condition de ces femmes qui se voient comme « emprisonnées à perpétuité » par la loi. « Le Procès… « , par conséquent, représente la condition des femmes à travers le monde, partout où – parce qu’elles sont femmes – elles sont regardées par la loi et par les hommes comme inférieures aux hommes. »

Les personnages parlent hébreu, anglais mais aussi français, trois langues qui s’appliquent chacune à des situations bien précises et manifestent des intentions propres.
Par exemple, le français et l’arabe sont utilisés lors de conversations intimes et confidentielles et renvoient à tout ce qui est d’ordre profane. Quant à l’hébreu, la langue majoritairement parlée en Israël, « c’est une langue sacrée, on ne doit pas l’utiliser pour des conversations banales, quotidiennes. » Ces écarts de langage autorisent selon les réalisateurs, « un certain confort et crée une intimité entre les personnes composant la famille. »

C’est un film à la fois mystérieux et oppressant. Quel est ce couple qui vient se déchirer devant ces juges ? Quelle est son histoire ? D’interrogatoire en interrogatoire, de témoignage en témoignage, une réalité, banale et quotidienne, se fait jour, révélant bien des points aveugles de la société israélienne. L’oppression, quant à elle, surgit de la position occupée par Viviane, dont la parole compte moins que celle d’un homme. Déterminée, tout en rage contenue, elle s’efforce de garder son calme, de ne rien laisser paraître de l’humiliation que représente pour elle ce procès kafkaïen.

L’évidence est là, monstrueuse : le droit est en faveur d’Elisha. Quoi que dise Viviane, quoi qu’elle révèle de la réalité de son existence au côté de cet homme, elle est forcément, sinon la coupable, du moins l’accusée, en ce qu’elle va contre le commandement sacré de préserver le « foyer juif ». Elle aura beau dire, les rabbins seront toujours, a priori, du côté d’Elisha.

C’est là un autre aspect passionnant de ce film, de montrer le fonctionnement d’un tribunal rabbinique. Ici, seules les règles énoncées dans la ketoubbah (le contrat de mariage) ont force de loi ; seul l’époux, avec le consentement du tribunal, peut donner le get, l’acte de divorce, à sa femme. Celle-ci, tant qu’elle n’a pas formellement divorcé, ne peut refonder un foyer.

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Le court

AÏSSA

de Clément Tréhin-Lalanne

France, 2014, Fiction, Couleur, Français – 08’15 -

Synopsis : Aïssa est congolaise. Elle est en situation irrégulière sur le territoire français. Elle dit avoir moins de dix-huit ans, mais les autorités la croient majeure. Afin de déterminer si elle est expulsable, un médecin va examiner son anatomie.

L’avis du programmateur : Remarqué au Festival de Cannes en 2014, Aïssa est un modèle de court métrage, incroyablement percutant sur une durée pourtant réduite et qui aborde de surcroît un sujet fort et d’une actualité toujours brûlante. Il le fait même avec une apparence de neutralité, traduisant néanmoins dans l’intention du cinéaste une indignation aisément communicative. Un article de presse avait en effet, à l’origine, attiré l’attention de Clément Tréhin-Lalanne, lui donnant l’envie d’en faire un film de fiction. Il y était relaté dans le détail la batterie d’examens médicaux imposés à des candidats à l’immigration et destinés à vérifier leur âge et leur passé physiologique. La manière froide dont la jeune Aïssa est ainsi examinée dans le film, par le biais de gros plans sur différentes parties de son corps, rappelle les pires heures du colonialisme (l’exposition universelle de Paris en 1900, par exemple) et la voix du médecin enregistrant son rapport, en off, met en exergue toute l’inhumanité du processus, dans les coulisses mêmes du prétendu pays des Droits de l’Homme. Autour d’une victime expiatoire belle et mystérieuse, finalement fascinante. Et au prénom inoubliable : Aïssa’.

Presse : ‘Par la simplicité de son dispositif, le film parvient à dénoncer de manière particulièrement violente le regard que nos sociétés réservent aux étrangers et aux migrants, tout en donnant une aura presque sublime à son héroïne.’ (Amanda Robles, Bref n°112, août-septembre-octobre 2014) ‘À la différence de nombreux films sur le thème des sans-papiers où l’on voit des immigrés traqués et des forces de l’ordre agressives, ici, point de brutalité, mais une situation qui glace’ (Camille Monin, http://www.formatcourt.com, 18 mai 2014).

Récompenses obtenues par le film :
Mention spéciale du jury, Festival international du film (Cannes / France – 2014)
Prix spécial des droits humains,Prix du jury de blogueurs, Festival cinéma et droits humains (Paris / France – 2014)
Mention spéciale du jury de la compétition internationale, Festival international de court métrage Mostra Curta Cinema (Rio de Janeiro / Brésil – 2014)

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